
La progression des sanctions disciplinaires : un principe clé du droit du travail au Québec
Écrit par Guillaume Demers -La gestion disciplinaire en milieu de travail repose sur un équilibre délicat entre le droit de gestion de l’employeur et les droits du salarié. Au Québec, la règle de la progression des sanctions s’impose comme un principe directeur, bien qu’elle ne soit pas codifiée dans une loi spécifique. Elle découle de la jurisprudence civile, arbitrale et administrative, et s’inscrit dans une logique de droit de l’employé à ne pas être congédié sans raison valable en vertu de la Loi sur les normes du travail, de laquelle découle l’obligation pour l’employeur de permettre la réadaptation du salarié fautif, et le droit de l’employé à obtenir un délai-congé raisonnable en cas de congédiement sans motif sérieux au sens du Code civil du Québec.
Cet article propose une analyse approfondie de cette règle et de son application.
Pourquoi appliquer la progression des santions ?
La progression des sanctions vise plusieurs objectifs.
Elle vise notamment à permettre de corriger un comportement fautif plutôt qu’à infliger une punition. Elle permet aussi d’informer clairement l’employé des attentes de l’employeur ainsi que des conséquences auxquelles il s’expose en cas de manquement. Ce processus graduel donne à l’employé la possibilité d’améliorer son rendement ou son comportement avant que des mesures plus sévères ne soient envisagées.
Par ailleurs, cette approche favorise le maintien de la relation d’emploi lorsque cela est possible, plutôt que de recourir prématurément au congédiement. Enfin, l’application rigoureuse de la progression des sanctions contribue à réduire les risques de litiges et de recours judiciaires, en démontrant que l’employeur a agi de manière juste, prévisible et proportionnée.
Elle s’inscrit dans une logique de prévention des congédiements abusifs et de respect du droit à la stabilité d’emploi, reconnu implicitement dans la jurisprudence québécoise.
Quelles sont les étapes de la discipline progressive ?
La gradation suit généralement une séquence croissante, qui peut contenir les sanctions suivantes :
- Avertissement verbal
- Avertissement écrit
- Suspension disciplinaire (avec ou sans solde; courte puis longue)
- Congédiement
Chaque étape doit être documentée, justifiée et communiquée clairement à l’employé. L’absence de documentation ou de communication adéquate peut affaiblir la position de l’employeur en cas de litige, vu les difficultés de preuve. Il est également recommandé en certains cas d’accompagner les mesures disciplinaires de plans d’amélioration ou de coaching, afin de démontrer une volonté réelle de réhabilitation et d’une assistance en ce sens.
L’exception à la règle
Bien que la progression des sanctions soit le modèle privilégié, elle n’est pas toujours applicable de façon rigide. Il existe des situations exceptionnelles dans lesquelles l’employeur peut légitimement écarter cette règle.
Par exemple, en cas de faute grave, telle qu’un vol ou une agression physique, un congédiement immédiat peut parfois être justifié sans qu’il soit nécessaire de passer par toutes les étapes intermédiaires. De même, lorsqu’un comportement est jugé irréparable, parce qu’il a entraîné une perte de confiance irréversible entre l’employé et l’employeur, le recours direct au congédiement peut être envisagé dans certains cas, particulièrement en fonction des responsabilités de l’employé. Enfin, dans les cas de récidive, malgré des avertissements clairs et documentés, l’employeur peut conclure à l’échec des démarches de réhabilitation.
Toutefois, même dans ces circonstances, il demeure essentiel d’être en mesure de démontrer que la rupture du lien d’emploi était la seule issue raisonnable. La jurisprudence impose en effet une évaluation rigoureuse du contexte et des alternatives possibles avant de conclure à la validité d’un congédiement sans progression.
Quels critères les tribunaux prennent-ils en compte?
Les arbitres et tribunaux tiennent compte de plusieurs éléments pour évaluer la conformité à la règle. Notamment, lorsque vient le temps d’évaluer si un congédiement respecte la règle de la progression des sanctions, les arbitres et tribunaux prennent en considération la nature de la faute reprochée ainsi que sa gravité, afin de juger de la proportionnalité de la réponse disciplinaire. L’historique de l’employé est également pris en compte, notamment la présence d’antécédents disciplinaires, ce qui peut influencer l’évaluation de la décision de l’employeur.
La durée du lien d’emploi est un autre facteur d’importance, tout comme les fonctions exercées par le salarié et le niveau de responsabilité qui y est associé ainsi que les pratiques passées ou tolérées. La reconnaissance ou non de la faute par l’employé, ainsi que la possibilité réelle de réhabilitation, orientent aussi la décision. Enfin, l’existence de politiques internes claires et accessibles renforce la légitimité de l’intervention disciplinaire, en témoignant de la prévisibilité des conséquences.
Quelles bonnes pratiques adopter pour éviter les erreurs?
Considérant ce qui précède et les risques importants que peut constituer un congédiement annulé par un Tribunal, il est essentiel que les employeurs adoptent de bonnes pratiques organisationnelles concernant la discipline au travail et procèdent à une analyse approfondie de chaque cas avant de procéder à un congédiement, lequel est considéré par les tribunaux comme la sanction ultime.
Nous recommandons notamment les pratiques qui suivent :
- Adapter les politiques internes aux nouvelles obligations légales en se tenant à jour
- Former les gestionnaires sur la proportionnalité des sanctions
- Tenir un dossier disciplinaire rigoureux et à jour
- Favoriser une culture de rétroaction continue
- Mettre en place des mécanismes de médiation ou de résolution de conflits
Ces pratiques permettent non seulement de réduire les risques juridiques, mais aussi d’améliorer le climat de travail et la rétention du personnel.
Perspectives contemporaines et évolutions législatives
Les réformes récentes en droit du travail au Québec, notamment en matière de harcèlement psychologique, de protection des lanceurs d’alerte et de gestion des absences, renforcent l’importance d’une gestion disciplinaire rigoureuse.
Par exemple, les nouvelles obligations en matière de prévention du harcèlement exigent des employeurs qu’ils interviennent de manière proactive, documentée et transparente.
Conclusion
Notre équipe est disponible pour toute demande relative à l’accompagnement en cours de processus disciplinaire ou l’évaluation d’une situation donnée.
Nous souhaitons souligner particulièrement que chaque situation doit être évaluée au cas par cas et que le congédiement constitue une avenue qui doit être évaluée avec grande rigueur, compte tenu des conséquences majeures qu’elles peuvent avoir sur l’employeur en cas de contestation.
L’ensemble de cette analyse doit être clairement distinguée des mesures à prendre en cas de manquement involontaire du salarié, par exemple en cas d’incompétence ou d’impossibilité d’accomplir les tâches, qui constituent des mesures non disciplinaires, ou administratives, et qui pourront être abordées dans un autre article.
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